Nous avions décidé, mon mari et moi, de partir quelques jours au Mexique. Une escapade que j’attendais avec impatience, comme une bouffée d’air dans le tumulte de notre routine. Je rêvais de moments complices, de souvenirs capturés entre ciel azur et sable chaud.

Mais à peine arrivés, une drôle d’impression m’a serré le cœur. À chaque fois que je lui demandais de faire une photo de moi, ou qu’on en prenne une ensemble, il trouvait une excuse pour refuser. Toujours.

— Tu peux me prendre juste une photo ? ai-je demandé, avec un sourire que j’espérais désarmant.

Il a juste levé les épaules, l’air agacé.

— J’ai pas envie, c’est tout.

Rien d’autre. Pas d’explication. Comme si ma demande était déplacée, presque stupide.

Je n’ai rien répondu, mais le malaise a grandi. Ce séjour, je l’avais imaginé plein de tendresse et de lumière. Lui semblait absent, froid. Et puis, il y avait ce téléphone qu’il collait à lui comme une extension de son corps. Toujours face cachée, jamais loin de sa main.

Je sentais qu’il me cachait quelque chose. Mon instinct ne me trompe jamais. Et cette fois encore, il criait à l’intérieur.

Un soir, pendant qu’il se lavait, mes mains ont tremblé en attrapant son portable. J’ai ouvert ses conversations. Et là… j’aurais préféré ne rien voir.

Dans un groupe avec ses copains, il avait écrit noir sur blanc :

« Non mais vous imaginez ? Elle insiste pour que je la prenne en photo, avec le poids qu’elle a pris ! Elle croit qu’elle rentre encore dans le cadre ? Depuis qu’elle a accouché, elle est méconnaissable. »

Je suis restée pétrifiée. Mon cœur s’est arrêté. Ces mots, venimeux, sortaient de la bouche de l’homme que j’aimais. Celui en qui j’avais placé toute ma confiance.

J’ai lu et relu, espérant que ma vue me trahissait. Mais non. C’était bien réel.

Je me suis effondrée en silence. J’aurais voulu hurler, casser quelque chose. Mais je ne voulais pas réveiller les enfants. Alors j’ai pleuré. Longtemps. Jusqu’à ce que le chagrin se transforme lentement en rage.

Je ne pouvais pas le laisser m’écraser ainsi. Pas cette fois.


Reprendre le contrôle

Au petit matin, pendant qu’il dormait encore, j’ai fouillé dans ma valise et sorti une robe que je n’avais encore jamais osé mettre. Celle qui me faisait me sentir belle, même si je l’avais souvent évitée de peur d’être jugée.

Je l’ai enfilée, j’ai mis un peu de rouge à lèvres, et je suis sortie. Le soleil baignait la plage d’une lumière dorée. J’ai demandé à un inconnu de me prendre en photo. J’ai pris la pose, droite, digne, le regard fier. Et j’ai souri. Un vrai sourire. Pas pour lui, mais pour moi.

Puis, j’ai posté la photo sur mes réseaux. Avec cette légende :

« La beauté d’une femme ne tient pas à sa silhouette. Elle brille dans sa force, dans ce qu’elle surmonte. »

Avant de refermer l’appli, j’ai tagué mon mari. Et son groupe d’amis aussi.


Le silence qui en disait long

Quand je suis remontée dans la chambre, il était réveillé. Il fixait son écran, les traits tirés, visiblement secoué. Il avait vu. Et les autres aussi.

Certains avaient tenté de rire. D’autres n’avaient rien osé dire.

— C’est quoi ce cirque ? a-t-il lancé, d’un ton tranchant.

Je l’ai regardé droit dans les yeux, glaciale.

— Une photo. Celle que tu as refusé de faire.

Il a baissé les yeux. Je crois que, pour la première fois, il n’avait plus rien à dire. Il savait. Et il avait honte.

J’ai respiré profondément.

— Tu peux continuer à te moquer si ça t’amuse. Mais plus jamais tu ne me feras me sentir aussi petite.

Je n’ai pas attendu sa réponse. J’ai pris mon sac, mes lunettes de soleil, et je suis partie.

Il me restait encore plusieurs jours ici. Des jours que je comptais bien vivre… pour moi. Rien que pour moi.